Introduction à l'analyse de la fécondité
Introduction
Dans la plupart des groupes humains, la fécondité est, à long terme, le déterminant le plus important de la dynamique et de la croissance des populations. Cette section donne une vue d’ensemble des types de méthodes disponibles pour la mesure de la fécondité. Les méthodes elles-mêmes seront décrites dans d’autres sections.
Sources de données
D’une manière générale, les données pour la mesure de la fécondité proviennent de trois sources.
La première est l’information recueillie en continu par un système d’enregistrement à l’état civil. Le plus souvent, l’enregistrement des naissances est incomplet dans les pays en développement. Les parents manquent fréquemment d’incitations à faire enregistrer leurs naissances ; les nouveau-nés qui décèdent peu après leur naissance risquent de ne pas être enregistrés, soit comme naissance, soit comme décès ; et l’enregistrement tardif des naissances (par exemple quand l’enfant atteint l’âge d’aller à l’école) peut impliquer un délai de plusieurs années avant que soient enregistrés tous les survivants de la cohorte née une année donnée.
La deuxième source est constituée des réponses aux questions sur la fécondité recueillies lors d’un recensement. Ces questions sont généralement posées à toutes les femmes d’âge fécond (12 ou 15 ans et plus, souvent avec une limite supérieure à 49 ans). Compte tenu de la complexité de l’exercice censitaire, et de la nécessité de chercher à dénombrer chaque individu, il n’est pas possible de poser des questions détaillées sur la fécondité. En pratique, ces questions visent une information synthétique sur la descendance (le nombre total d’enfants déjà nés, et le nombre d’enfants toujours vivants) et sur la fécondité au cours d’une période étroitement définie précédant le recensement. Cette dernière information doit permettre aux démographes d’estimer les taux de fécondité actuels. La nature concise des questions posées limite les possibilités d’une validation interne et d’un recoupement des réponses.
En outre, comme on le verra plus en détail dans la section sur l’évaluation de la qualité des données de fécondité, les données sur la fécondité recueillies dans un recensement souffrent très souvent de deux erreurs. Premièrement, les données sur la fécondité cumulée au long de la vie tendent à se détériorer avec l’âge des mères. Deuxièmement, les informations sur la fécondité récente tendent à être systématiquement sous-déclarées par toutes les femmes (de même que les très jeunes enfants sont fréquemment sous-dénombrés dans l’effectif des ménages). Un sur-dénombrement des naissances récentes est également possible, lorsque les bornes de la période de référence sont mal comprises ou lorsque les naissances les plus récentes sont abusivement intégrées dans la période de référence. Les méthodes utilisées pour estimer la fécondité à partir des données de recensement visent explicitement à prendre en compte ces erreurs.
Troisièmement, en plus de ces questions synthétiques sur la fécondité, des enquêtes recueillent auprès des mères leur histoire génésique détaillée. De telles histoires incluent la date de naissance de chaque enfant, son statut vital (l’enfant est-il toujours vivant ?) et – si l’enfant est décédé – sa date de décès. Les données ainsi obtenues permettent de faire des estimations détaillées de la fécondité. Toutefois, en contrepartie de l’effort consacré au recueil de ces données détaillées, les échantillons de ces enquêtes sont souvent d’une taille limitée. En conséquence, les taux estimés sont soumis à une importante variabilité et ne permettent pas l’analyse de la fécondité à un niveau géographique fin et d’autres études différentielles.
Types de méthodes d’estimation de la fécondité
Les méthodes d’estimation de la fécondité sont étroitement associées aux types de données disponibles.
Estimation directe
En fonction des données disponibles, trois démarches sont possibles pour mesurer la fécondité directement.
La première recourt aux données du système d’enregistrement à l’état civil conjointement avec des estimations de population par âge et sexe (par exemple à partir d’un registre de population ou d’estimations de population en milieu d’année). Si les données du numérateur et du dénominateur sont à la fois complètes et non biaisées et que le dénominateur reflète bien la population exposée au risque de donner naissance par âge, le calcul des taux de fécondité est simple.
La deuxième démarche utilise les données de l’histoire génésique recueillies dans une enquête et les divers contrôles de validité qui peuvent être incorporés dans l’enquête. On dispose ainsi d’une information détaillée sur la naissance de chaque enfant, ainsi que sur l’âge de la mère. En conséquence, il est possible de déterminer exactement l’âge de la mère à la naissance de chaque enfant, et les naissances et l’exposition au risque peuvent être affectées aux différentes années de calendrier ou autres période de temps. Cette démarche est décrite en détail dans la section consacrée à l’estimation directe de la fécondité à partir des données d’enquête [2].
La troisième approche s’appuie sur les mesures synthétiques de fécondité recueillies couramment dans les recensements pour estimer la fécondité récente. Les méthodes sont décrites dans la section consacrée à l’évaluation de la qualité des données de fécondité tirées des recensements. Si les données souffrent de sous-déclaration des naissances récentes fréquente dans les recensements, les estimations qui en résulteront seront évidemment trop basses.
Estimation indirecte
L’estimation indirecte de la fécondité s’appuie sur les estimations directes tirées des informations synthétiques sur les naissances récentes, mais – sachant que les naissances récentes sont souvent mal déclarées dans les recensements – elle utilise aussi l’information sur leur descendance telle que donnée par les jeunes femmes au même recensement, afin d’ajuster les estimations directes. La plus ancienne de ces méthodes est la méthode P/F de Brass, exposée pour la première fois par Brass (1964). Elle est exposée dans le Manuel X (Division de la population des NU 1984), en même temps que diverses variantes qui étendent ses possibilités d’application en fonction des données précisément disponibles. La section sur les méthodes d’estimation de la fécondité fondées sur le quotient P/F donne une brève description de la méthode P/F. Le Manuel X mentionnait en passant un perfectionnement de la méthode P/F – le modèle relationnel de Gompertz – mais l’essentiel du développement de ce modèle est survenu après la publication du Manuel X. Nous présentons ici plusieurs extensions à partir du modèle relationnel de Gompertz (dont la section sur le modèle relationnel de Gompertz donne la version de base), en nous inspirant des extensions à la méthode P/F présentées dans le Manuel X. Ces extensions s’appliquent à des situations où :
- on dispose de données sur la descendance et sur la fécondité récente à partir de plusieurs recensements, et on cherche à estimer la fécondité pour la période intercensitaire – le modèle relationnel synthétique de Gompertz [6]
- On ne dispose que de données sur la descendance – à partir de deux recensements ou enquêtes conduits à cinq ou dix ans d’écart – ce qui rend nécessaire une estimation de la fécondité à partir des accroissements des parités. C’est la méthode d’accroissement des parités présentée dans la section sur les estimations de fécondité tirées des accroissements des nombres d’enfants nés par cohorte [7].
- On dispose de données sur les descendances à partir de deux recensements, ainsi que d’informations sur les naissances de la période intercensitaire, par exemple à partir d’un système d’enregistrement à l’état civil. Cette démarche est présentée dans la section sur la comparaison du nombre moyen de naissances enregistrées par une cohorte de femmes avec la parité moyenne déclarée de la même cohorte [8]. Elle permet d’évaluer la complétude des données sur les naissances enregistrées.
Dans le présent manuel, nous remanions toutes les méthodes d’estimation de la fécondité recourant à la méthode du quotient P/F en nous appuyant sur le modèle relationnel de Gompertz.
Autres analyses de la fécondité
Enfin, plusieurs autres méthodes peuvent éclairer les tendances et la dynamique de la fécondité.
A partir des données de recensement, on peut calculer à la fois des probabilités d’agrandissement des familles conventionnelles et projetées. Ces mesures indiquent la propension des femmes d’une population à avoir d’autres enfants, en fonction du nombre de naissances qu’elles ont déjà eues. Les probabilités d’agrandissement projetées indiquent ce que pourrait être l’évolution future des probabilités d’agrandissement des jeunes femmes, en tenant compte de la fécondité actuelle et de l’histoire génésique des femmes jusqu’à la date du recensement.
Par ailleurs, des méthodes existent (la méthode du quotient P/F avec des données d’enquête [10]) qui permettent le calcul de taux de fécondité par cohorte et période à partir de données d’histoires génésiques détaillées. Ces taux fournissent une information sur les tendances de la fécondité, mais ils permettent aussi d’évaluer la qualité des données d’histoires génésiques.
Troisièmement, une méthode permet d’estimer des mesures de la fécondité à partir de la survie inversée de la population dénombrée des enfants et des adultes.
Toutes les méthodes citées plus haut sont décrites et discutées dans ce manuel.
Références et lectures complémentaires
La meilleure description des méthodes d’estimation indirecte de la fécondité est dans le chapitre 2 du Manuel X (Division de la Population des NU 1984). Le manuel écrit par le Centre for Population Studies pour l’Institut Statistique des NU pour l’Asie et le Pacifique (Sloggett, Brass, Elridge et al. 1994) offre un exposé simple de l’évaluation de la qualité des données de fécondité, de l’utilisation du modèle relationnel de Gompertz pour l’estimation de la fécondité, et du calcul des probabilités d’agrandissement projetés. L’article de Brass (1964) a cédé la place à des développements plus récents, mais il demeure instructif par son exposé de la démarche qui a façonné presque toutes les méthodes ultérieures pour la mesure de la fécondité à partir de données limitées et défectueuses.
Brass W. 1964. Utilisation des données des
recensements ou des enquêtes pour l’estimation des taux de natalité et de
mortalité. Préparé pour le Cycle d’études sur les statistiques d’état civil,
Addis Abéba 14-19 décembre 1964. Document No. E/CN.14/CAS.4/V57. New York:
Nations Unies.
http://repository.uneca.org/bitstream/handle/10855/9306/Bib-49868.pdf?sequence=1
Division de la Population des Nations Unies. 1984. Manuel X. Techniques indirectes d’estimation démographique. New York : Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales internationales, ST/ESA/SER.A/81. http://unstats.un.org/unsd/demographic/standmeth/handbooks/Manuel_X-fr.pdf
Sloggett A, W Brass, SM Eldridge, IM Timæus, P Ward and B Zaba (eds). 1994. Estimation of Demographic Parameters from Census Data. Tokyo: Statistical Institute for Asia and the Pacific.
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